Financé par le Fonds écoleader
  • Démarche en développement durable

« Arrêter de faire comme on a toujours fait »

Article rédigé par Alexandre Couture, Journaliste pour Unpointcinq.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Rivière-au-Renard est un village qui fait partie de l’agglomération de Gaspé. René Lévesque, qui a lui-même grandi en Gaspésie, lui avait donné le titre de Capitale des pêches du Québec à la fin des années 1970, alors qu’il était premier ministre.

Avec son parc à bateaux gigantesque, le plus gros de la province, le village vit principalement des activités de la pêche. Sur place m’attend Geneviève Myles, chargée de projets à l’ACPG. Sans trop de formalités, elle m’invite à embarquer dans sa camionnette pour visiter le parc, une sorte de stationnement à ciel ouvert.

« Ça sera bien mieux de te montrer ça en vrai et Yves pourra t’expliquer », me dit-elle comme si je connaissais bien Yves. J’adore la familiarité gaspésienne.

L’endroit est assez impressionnant, encore plus pour un néo-Montréalais comme moi qui n’a jamais vraiment eu le pied marin. D’immenses navires sont déposés aux quatre coins du terrain. Certains semblent presque neufs, d’autres sont pas mal éprouvés par le temps et plusieurs sont tout simplement en fin de vie.

Ces bateaux peuvent passer des années dans ce cimetière si les propriétaires continuent de payer pour la location. Éventuellement, les bateaux seront démantelés. C’est justement l’étape qui nous intéresse aujourd’hui.

Un besoin criant de changer les choses

Le démantèlement des bateaux peut avoir un impact environnemental important s’il n’est pas réalisé de manière appropriée. Ces bâtiments peuvent contenir divers matériaux dangereux comme des résidus de carburant, de l’amiante, du plomb, des huiles usagées et d’autres substances toxiques. Si ces matériaux ne sont pas correctement gérés, ils peuvent contaminer l’environnement, les sols et les cours d’eau avoisinants.

De nombreux matériaux utilisés dans la fabrication d’un bateau peuvent en outre être recyclés, notamment l’acier, l’aluminium et le bois. Cependant, si l’opération n’est pas réalisée dans les règles de l’art, ces matières précieuses peuvent être perdues et gaspillées.

C’est avec ce constat en tête que l’Association des Capitaines Propriétaires a mis sur pied un projet-pilote de démantèlement écoresponsable, le premier du genre au Québec. Et les résultats sont prometteurs.

« Avec l’aide du Fonds Écoleader, on a réalisé des études et analyses pour mettre en place un procédé écoresponsable de démantèlement et de valorisation des composantes », me raconte Geneviève Myles. La firme Cotnoir Consultation a accompagné l’ACPG dans ce projet.

À la suite de ce travail de recherche, la réalisation du projet a été confiée au coordinateur du parc, Yves Cotton, et de sa vaillante équipe.

« Pour le projet, on a utilisé un des bateaux qui nous appartenait, le Myrana, un bateau en bois hors d’usage de 59 pieds, me décrit Geneviève. Il était au même endroit depuis 12 ans, c’était parfait comme cobaye. »

Nous retrouvons Yves alors qu’il termine la mise à l’eau d’un immense bateau. Cet homme au sourire contagieux est le genre de personne à qui on fait tout de suite confiance. Il prend le temps de m’expliquer toutes les étapes de l’opération, que je vous résume ici :

  1. Sécurisation des lieux : l’infrastructure a été inspectée par le coordonnateur du parc de bateaux.
  2. Récupération des matières dangereuses (huiles, carburant, batteries) : 105 L de liquide et 272 kg (600 lb) de batteries ont été récupérés au total.
  3. Récupération du câblage, des matériaux électriques et électroniques : environ 100 kg (220 lb) de filage ont été retirés du Myrana.
  4. Déplacement du navire : le bateau a été déplacé avec un chariot cavalier d’une capacité de 272 tonnes métriques, et ce, pour assurer la sécurité de la main-d’œuvre lors des opérations de démantèlement.
  5. Démantèlement des installations, de la cale et de la chambre des moteurs : 3810 kg (8400 lb) de matières ont été récupérés de la salle des moteurs seulement.
  6. Démantèlement de la coque : la dernière étape.

« Le démantèlement pourrait permettre à la Coopérative de générer de nouvelles retombées financières en libérant de l’espace dans son parc à bateaux. Elle pourrait offrir ce service à des propriétaires de bateaux en fin de vie, afin qu’ils bénéficient du même procédé au cours des prochaines années. » – Geneviève Myles, chargée de projets à l’Association des Capitaines Propriétaires de la Gaspésie

Un succès inspirant

L’opération de démantèlement s’est faite sans anicroche ou mauvaise surprise. C’est avec fierté que Geneviève et Yves m’ont annoncé les chiffres finaux.

« Le procédé a permis de recycler ou réutiliser jusqu’à 95 % des matériaux du Myrana, m’explique avec bonheur la chargée de projets. Les morceaux de bois ont notamment été transformés en paillis, qui ont été utilisés ailleurs dans la région. »

Ce projet pilote a atteint un double objectif, soit de prouver que le démantèlement écoresponsable était possible et de générer de nouveaux revenus.

« Le démantèlement pourrait aussi permettre à la Coopérative de générer de nouvelles retombées financières en libérant de l’espace dans son parc à bateaux, me dit Geneviève. L’ACPG pourrait offrir ce service à des propriétaires de bateaux en fin de vie, afin qu’ils bénéficient du même procédé au cours des prochaines années. »

Quand je lui demande si des propriétaires vont accepter de payer pour ce service « vert », Geneviève Myles me sert une réponse très honnête : « C’est certain que c’est un gros défi, les propriétaires ne sont peut-être pas encore rendus là, mais j’ai espoir que les mentalités vont évoluer dans les prochaines années. Un projet de ce type est une manière de changer les choses… les choses qu’on a toujours faites de la même manière. »

Geneviève et Yves échangent un regard rempli de sous-entendus. Visiblement, les deux savent que la partie n’est pas gagnée d’avance.

Voyez-vous, bien que les Gaspésiens et les Gaspésiennes soient en amour avec leur région et la nature qui les entoure, ils et elles peuvent également être réfractaires aux changements. En particulier quand ceux-ci peuvent menacer leur gagne-pain. Mais il serait malhonnête de juger cette méfiance, surtout lorsqu’on comprend les réalités économiques de la région.

L’industrie de la pêche ne changera pas du jour au lendemain, mais grâce à des projets comme celui de l’ACPG, les choses avancent. Lentement, mais sûrement.

 

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